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Qu’apporte le concept de «rétablissement» dans le domaine du handicap psychique ?


La notion de rétablissement nait aux Etats-Unis dans les années 1970, sous l’impulsion de mouvement d’anciens usagers de la psychiatrie, notamment Judi Chamberlin et Patricia Deegan, qui se sont appropriées le concept de « recovery » développé par les Alcooliques Anonymes. Patricia Deegan décrit ce terme comme « un processus dont le but n’est pas de devenir ‘normal’. Le rétablissement est une façon de vivre, une attitude et une façon de relever les défis de la vie de tous les jours. (…) c’est l’aspiration à vivre, à travailler, à aimer, et ce dans une communauté à laquelle il est possible de prendre sa place entière. » (5)


Pour ces usagers, il est possible de se rétablir, c’est-à-dire de s’engager dans une vie active, satisfaisante et dotée de sens, et ce indépendamment des tournures que peut prendre la maladie, grâce à l’autodétermination ou « empowerment », c’est-à-dire la volonté d’agir pour son propre bien. (6) En effet, selon le modèle du rétablissement, le handicap psychique n’est qu’un aspect de la personne entière, et le rétablissement d’un trouble psychiatrique ne nécessite pas de guérison de la maladie ou même de rémission des symptômes. (4)

Cette mouvance est étayée par toute une série de recherches longitudinales sur le devenir des personnes vivant avec une maladie psychotique aux Etats-Unis et en Europe, démontrant que la majorité de ces patients – de 46 à 68% selon l’étude et la durée de l’étude – progressent au-delà d’une simple stabilisation. (3)

Pour les patients et leur entourage, le rétablissement offre un nouvel espoir car il remet en question le préjugé pessimiste selon lequel les troubles psychiatriques sont des maladies chroniques de longue durée, avec une maigre perspective d’amélioration si ce n’est au mieux, une stabilisation des symptômes au prix d’un traitement lourd et parfois invalidant.(3) Et ceci d’autant plus que le passage au statut d’handicap psychique, nécessaire à une prise en charge plus étendue et durable des patients peut, chez nombre d’entre eux, être ressenti comme un renoncement à tout mieux-être voire un échec thérapeutique : le terme handicapé est en effet associé à la notion d’incurable. (7)

Pourtant, selon l’Unafam (Union Nationale des Associations de Familles de Malades Mentaux) : « la notion de handicap psychique est le facteur nécessaire de liaison entre tous les acteurs et il fournit dès lors le cadre incontournable de toute amélioration. » (2) C’était d’ailleurs sous l’action militante d’associations comme l’Unafam, pour distinguer le handicap psychique du handicap mental et pour obtenir la reconnaissance d’un nouveau groupe cible que la loi de 2005 fut promulguée en France. (1) Cette reconnaissance permit de faire passer le patient psychiatrique du domaine sanitaire au domaine médico-social, d’une relation binaire entre le patient et son thérapeute à une prise en charge multiple par l’ensemble de la société. (2)

Bien qu’il n’existe pas de définition consensuelle du handicap psychique, le psychiatre Bernard Pachoud décrit trois conceptions du handicap psychique : le modèle médical (traditionnel) se focalisant sur des objectifs de soin, le modèle social (alternatif) insistant sur les stratégies de réinsertion, et le modèle du dépassement du handicap lié à la perspective du rétablissement. Ce concept de rétablissement se distingue donc de celui de réhabilitation psychosociale au sens classique, par un changement d’attitude dans la façon dont la personne considère sa situation et ses possibilités. Pour lui, il est important de noter que les principaux penseurs de ce modèle sont elles-mêmes des malades. (6) L’utilisation de pair aidance est d’ailleurs une particularité du modèle de rétablissement. En effet, selon le psychiatre, les patients se rétablissent plus souvent, plus vite et mieux s’ils peuvent contribuer eux-mêmes au rétablissement d’autres personnes malades grâce à l’expérience qu’ils ont acquise de leur propre rétablissement. (4)

Partant de ce modèle de rétablissement, différents dispositifs d’action et de formation ont été mis en place en Europe afin de soutenir les usagers dans leur projet de vie, avec des résultats prometteurs : le plan WRAP en Angleterre, le programme TREE aux Pays-Bas et le projet de recherche EMILIA dans seize pays européens dont la France. (3)


Le concept de rétablissement apporte donc une perspective positive aux sujets porteurs d’handicap psychique, en leur permettant de devenir acteurs de leur propre vie et de s’engager dans des activités significatives pour la collectivité, notamment dans le rôle de médiateurs de santé pair pour accompagner d’autres patients. (4)

Bibliographie

(1) Chapireau, F. (2014). Quel handicap psychique peut-on mesurer ? L’Information Psychiatrique, 90, 243-246.

(2) Escaig, B. (2012). Rétablissement ou amélioration ? L’expérience des familles de l’Unafam. Pluriels, 94/95, 14-16.

(3) Greacen, T., & Jouet, E. (2013). Rétablissement et inclusion sociale des personnes vivant avec un trouble psychique : le projet EMILIA. L’Information Psychiatrique, 89, 359-364.

(4) Kannas, S. (2010). Participation de patients rétablis aux interventions dans les services de soins. Pluriels, 85/86, 1-2.

(5) Le Cardinal, P. (2010). Les pairs-aidants ou médiateur de santé-pair : enjeu d’un nouveau métier dans le champ de la santé mentale. Pluriels, 85/86, 3-5.

(6) Pachoud, B. (2012). Se rétablir de la maladie. Santé Mentale, 166, 24-30.

(7) Vidal-Naquet, P. (2009). Entre maladie mentale et handicap psychique : une expérience problématique. Vie sociale, ERES, 13-29.

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