Article de www.talentdiffrent.com (voir l'article original)
La première fois que j’ai découvert le concept d’ « adulte surdoué », j’ai cherché des ouvrages professionnels, des études spécialisées, autant de références que possible sur le sujet. Les informations de qualité étaient essentiellement nées de la pratique des psychologues et des médecins, et à cette époque, cela me semblait parfaitement normal. Quelque temps après, en me formant en Sciences de l’Education, le regard que je portais sur les problématiques spécifiques des surdoués a changé. Des lectures éclairantes, des échanges fructueux avec mes pairs et voilà que je me pose une question nouvelle : pourquoi n’offre-t-on que des réponses thérapeutiques à un public qui n’est vraisemblablement pas plus malade que les autres ? Cet article n’a pas pour but de minimiser le besoin de soutien thérapeutique des surdoués en situation de grande souffrance psychique. Comme les autres, ils peuvent avoir besoin d’une prise en charge psychologique à un moment ou à un autre. Cet article a pour vocation d’explorer d’autres pistes permettant aux surdoués de construire leur place parmi les autres en faisant connaître les apports d’une discipline méconnue : le travail des compétences et de l’aise professionnelle par l’accompagnement propre aux Sciences de l’Education.
L’accompagnement éducatif : de quoi parle-t-on ?
Qu’est-ce qu’éduquer ? Eduquer se divise en deux domaines, deux paradigmes distincts : instruire et accompagner. Il s’agit de deux postures professionnelles différentes mais complémentaires permettant chacune à leur manière de favoriser l’autonomie de l’autre. « Grandir n’advient que si l’humain est en relation avec un autre semblable ; il se perd s’il n’y a pas un autre humain pour l’accompagner » (Cifali, M. 1994, p.257). Si tout le monde sait ce que signifie instruire et l’intérêt que cela présente pour tous au quotidien, le concept d’accompagnement est nettement moins connu. L’instruction, la possession du savoir, la culture ne suffisent pas à devenir un Homme : « Ce ne sont pas les savoirs en eux-mêmes qui sont ou non émancipateurs mais bien la posture avec laquelle on les aborde, la façon dont on se situe par rapport à eux et ce qu’on en fait » (Hatchuel). C’est ici qu’intervient le processus d’accompagnement : parallèlement à l’acquisition de savoirs, il s’agit de favoriser l’émancipation intellectuelle et la mise en place de la fonction critique de chacun afin de gagner au quotidien en pouvoir d’agir.
Accompagner consiste à faire le chemin avec quelqu’un dans sa propre recherche de sens, sans déterminer à la place de l’autre quelle direction il doit prendre (contrairement au fait d’instruire, qui implique que le professionnel sache vers où il doit guider l’autre). Accompagner quelqu’un, c’est stimuler sa réflexion dans l’élaboration de nouvelles réponses, sans partir du principe qu’il dysfonctionne, qu’il faut le rendre plus performant ou plus conforme : « La démarche d’accompagnement n’a de sens que si elle est animée par une interrogation sur l’existence (et non sur un problème à résoudre) qui débouche sur une ouverture des possibilités ». (Paul, M. 2004, p.314).
L’accompagnement éducatif, en tant que dispositif professionnel, s’occupe de la sphère des compétences. En cela, il diffère du cadre thérapeutique. Un accompagnateur permet donc de créer plus d’humanité dans les domaines professionnels et scolaires, partout où il est question d’habiter sa place, de faire vivre ses compétences au fil des situations, de gagner en aise parmi les autres et surtout, de trouver du sens à ses actes. « Le terme accompagnement lui-même évoque quelque chose de substantiel, de vital pour l’existence humaine ». (Paul, M. 2004, p. 311). Il s’agit d’un processus que chacun vit au quotidien et dans lequel on ne peut pas avancer tout seul.
L’accompagnement permet de travailler autour de quatre grands thèmes qui habitent chacun d‘entre nous : le rapport au savoir, le rapport à la norme, le rapport à l’autre et le rapport à l’image de soi. Toutes les problématiques professionnelles et scolaires y sont reliées d’une manière ou d’une autre. Il s’agit des quatre grands mobiles de l’Homme, ce qui le meut, le questionne, le pousse à avancer tous les jours, quels que soient son âge et son QI. « Les mobiles s’enracinent dans la sphère proprement subjective du sujet, celle de son histoire et de son économie psychique […] et se fixent sur des objets spécifiques au gré de la trajectoire du sujet » (Bourgeois, E. (2000)). Nous sommes tous habités par ces mobiles et cela rejaillit en permanence sur la vie scolaire, universitaire et professionnelle de chacun.
Quel rapport avec les publics surdoués ?
L’accompagnement éducatif est essentiel à tous. Mais… …que dire de ces enfants surdoués peinant tant à se faire des amis ? De ces adultes à haut potentiel en perpétuelle quête de nouvelles informations et de nouveaux défis intellectuels ? Et de tous ceux qui se trouvent tellement « hors cadre » qu’ils pensent ne jamais pouvoir travailler ou avoir de vie sociale ? Ou de ceux qui se retrouvent piégés derrière un faux-self au point d’avoir une image d’eux-mêmes totalement déformée ?
Ne gagneraient-ils pas à travailler leur rapport à l’autre pour gagner en aise relationnelle ? Leur rapport au savoir avant de faire un burn out ? Leur rapport à la norme avant de se retrouver totalement exclu du monde ? Leur « image de soi » pour s’autoriser à « devenir soi-même son propre co-auteur » (Ardoino) et retrouver le droit de choisir comment exister dans le monde ?
Les problématiques liées au haut potentiel intellectuel peuvent pour beaucoup être envisagées par le biais du référentiel de l’accompagnement éducatif : • La procrastination comme refus de « l’implication » (Ardoino) • Le faux-self comme difficulté à passer « d’acteur » à « auteur » (Ardoino) • La quête de savoir perpétuel et la peur de la pratique professionnelle comme difficultés propres au « processus d’autorisation » (Marpeau), c’est-à-dire le processus permettant à chacun de se sentir légitime et à sa place, à l’origine de sa parole au travail. • L’amour envahissant ou l’hostilité assumée pour le savoir du surdoué interprété comme une situation de « transfert » (Cifali), c’est-à-dire une projection sur l’image de quelqu’un qui représente un savoir/pouvoir qu’on désire ou qu’on jalouse de façon inconsciente. • Et tant d’autres…
Les surdoués peinent souvent à trouver quelqu’un capable de les accompagner sur certains sujets. Sujets qui n’ont parfois rien à voir avec un problème psychologique nécessitant une thérapie. Les surdoués et les Sciences de l’Education ne se sont pas encore suffisamment rencontrés. Il est temps que cela change et que des perspectives autres que thérapeutiques puissent être envisagées :
En groupe ou en individuel, par le biais d’un atelier d’écriture, d’une analyse des pratiques professionnelles ou d’un débat autour d’un thème philosophique, l’accompagnateur permet de remettre du mouvement dans une pensée figée, pour favoriser la reliance à soi, à l’autre et au monde. Reliance dont les surdoués manquent souvent et à tous les âges…
Les professionnels de l’accompagnement éducatif ont d’autres références, d’autres concepts, d’autres dispositifs à mettre en place et d’autres moyens pour que chacun puisse gagner en humanité et réinventer sa place.
Pour plus de bien-être au travail et à l’école. Plus de liberté d’action. Plus de changement. Plus de choix. Enfin !